Didier Berberat
Conseiller aux Etats

18/08/2006, Dombresson

Congrès du Parti socialiste neuchâtelois (PSN)

L’un des points les plus révoltants de la nouvelle révision de la Loi sur l’Asile consiste en la suppression de l’aide sociale pour toutes les personnes déboutées. Dorénavant, ces personnes ne pourront plus prétendre qu’à une aide d’urgence principalement en nature et apportée par les cantons et les communes. Une fois de plus, la Confédération reporte donc des charges et des responsabilités vers les cantons et les villes, puisque l’aide sociale dans le domaine de l’asile est principalement financée par la Confédération. La Confédération continuera à dédommager les cantons en leur versant des forfaits limités dans le temps mais les montants évoqués actuellement ne suffiront pas. Il n’est en outre pas sûr que les communes seront dédommagées. L’idée du Conseil fédéral et de la majorité du Parlement est simple, si c’est aux cantons de payer, ils feront en sorte de renvoyer dès que possible les requérants dont la demande d’asile a finalement été rejetée.

Nous pouvons malheureusement imaginer sans trop de risque de se tromper les nombreuses situations aussi inéquitables qu’inhumaines que créera la suppression de l’aide sociale et son remplacement par une aide d’urgence. En effet, cette procédure s’applique déjà depuis 2004 aux requérants d’asile frappés d’une décision de non-entrée en matière, c’est-à-dire à ceux que l’on nomme communément les NEM. Pour rappel, il s’agit des personnes ayant formellement déposé une demande d’asile sur laquelle les autorités ne sont pas entrées en matière pour des motifs prévus par la loi. Depuis 2004 donc, les NEM se voient déjà refuser l’aide sociale et ne peuvent prétendre qu’à l’aide d’urgence. En deux ans de pratique, quoiqu’en dise le Conseiller fédéral Blocher, on a pu constater les nombreux problèmes liés à cette pratique. Malgré cela, on entend aujourd’hui l’étendre à un cercle beaucoup plus large de la population, plus précisément à tous les requérants déboutés. Un requérant débouté est un étranger qui a vu sa demande d’asile définitivement rejetée, mais qui n’a pas encore été renvoyé.

Premier problème avec l’aide d’urgence, celle-ci est principalement en nature et à la charge des cantons et des communes. La Confédération continue à dédommager partiellement les cantons avec des forfaits fort limités veille à ce que les cantons s’acquittent de leur obligation d’attribuer cette aide aux personnes. Au lieu d’avoir une aide uniformisée sur l’ensemble du territoire helvétique, on se retrouve toutefois avec 23 systèmes différents puisque chaque canton dispose d’une grande liberté pour définir ce qu’il entend offrir comme aide de dernier secours. Cette aide, principalement en nature, se limite généralement à l’offre de locaux pour dormir, souvent des abris, ainsi qu’à une aide permettant aux gens de se nourrir. Le paiement quotidien de l’aide d’urgence représente un lourd fardeau administratif pour les cantons. Actuellement, il existe de grandes disparités dans la générosité de l’aide apportées aux requérants frappés d’une non-entrée en matière selon le canton dans lequel ils résident ! Même si la situation est très difficile dans les 2 cas, il est sans doute aujourd’hui préférable d’être un NEM dans le Canton de Neuchâtel qu’à Soleure ! Il semble que dans certains cantons, aucun local chauffé ne soit par exemple mis à disposition pendant la journée, même durant l’hiver ! Selon leur sensibilité politique, les cantons se montrent en effet plus ou moins généreux et on peut imaginer sans peine que certains gouvernements sont très réticents à apporter la moindre aide à des personnes pourtant en situation de détresse. Le Tribunal fédéral a d’ailleurs dû rappeler à certains cantons qu’ils avaient l’obligation d’apporter une aide d’urgence aux requérants frappés d’une non-entrée en matière, ce qui démontre bien l’état d’esprit ambiant dans certaines parties de la Suisse face à ces personnes.

Autre pratique courante, les instances cantonales n’informent pas les personnes concernées qu’elles ont le droit de demander l’aide d’urgence. Ce devoir d’information est pourtant imposé par la loi actuelle. Du coup, de nombreuses personnes ne revendiquent pas cette aide et sont presque dans l’obligation de recourir à des pratiques illégales pour continuer à se nourrir. Mais soyons honnêtes, même là où les cantons se montrent plus coopératifs, cette aide d’urgence est extrêmement limitée et marginalise encore les personnes concernées. Ceci est également valable le canton de Neuchâtel car, au final, c’est tout de même la loi fédérale qui dicte le ton et celui-ci est extrêmement hostile aux personnes venant chercher l’asile en Suisse.

Or justement, la nouvelle révision de la loi sur l’asile prévoit d’étendre cette mesure à tous les requérants déboutés. Fini l’aide sociale financée par la Confédération, place à l’aide d’urgence dépendante des finances et du bon vouloir des cantons. Le nombre de personnes confrontées aux traitements indignes que j’ai évoqués va donc prendre l’ascenseur. Ceci est d’autant plus révoltant que la révision ne prévoit aucune exception pour les populations particulièrement vulnérables. Les familles avec des enfants en bas âge, les femmes enceintes, les personnes malades, les aînés ou encore les mineurs non accompagnés ne disposeront d’aucune attention particulière. Concernant les mineurs non accompagnés, cette mesure, ainsi que d’autres points de la révision, semble violer la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 que la Suisse a pourtant ratifiée le 24 février 1997. De nombreux spécialistes de la question sont en tous cas de cet avis. J’ai par ailleurs déposé à ce sujet une question auprès du Conseil fédéral lors de la Session d’été des chambres fédérales pour savoir ce qu’il en pensait. J’espère bien que le Conseil fédéral aura l’honnêteté et le courage d’y répondre avant les votations fédérales. Dans sa campagne, le Parti socialiste doit avoir le courage de dire la vérité aux gens : en Suisse, on laissera des femmes enceintes dormir dans des abris collectifs sans aucun confort et sans leur apporter une attention particulière. Idem pour les personnes âgées. Voter la révision de la loi sur l’asile, c’est violer sciemment notre Constitution et les engagements internationaux de la Suisse !

Pour vous donner une idée de l’esprit « jusqu’auboutiste » de la majorité du Parlement, la révision prévoyait initialement de permettre de diminuer encore l’aide d’urgence voire de la supprimer en cas d’absence de collaboration du requérant débouté. Le Tribunal fédéral a estimé qu’une telle clause violait clairement la Constitution et celle-ci a finalement été retirée. L’article 12 de la Constitution fédérale précise en effet clairement que « Quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine ».

Autre point d’étonnement, pour ne pas dire de consternation, l’exclusion de l’aide sociale sera maintenue même si les autorités autorisent aux personnes concernées de séjourner en Suisse ! C’est le cas lorsqu’une procédure est ouverte par une voie de droit extraordinaire pour une demande de révision ou de réexamen. Certaines personnes séjournant légalement en Suisse seront donc exclues de l’aide sociale ! Ici, on est donc carrément dans le domaine de l’illégalité puisque le Tribunal fédéral a aussi bien précisé l’an dernier que chaque personne séjournant légalement en Suisse avait droit, si nécessaire, à l’aide sociale. La révision de la loi sur l’asile est contraire à la Constitution fédérale car elle institue une inégalité de droits entre les personnes séjournant légalement en Suisse, ce qui est contraire à la Constitution fédérale. Ce point est d’autant plus problématique que les procédures de droit extraordinaire demandent souvent beaucoup de temps. On va donc maintenir artificiellement dans le besoin des personnes pendant de nombreux mois.

L’exclusion de l’aide sociale s’appliquera également de manière rétroactive. Les personnes ayant déposé une demande d’asile ou ayant été déboutées sous l’empire de l’ancien droit seront donc également touchées par les nouvelles dispositions. Plus de 10'000 personnes se trouvent dans ce cas. Des situations complexes vont donc être inutilement créées puisqu’une décision bien qu’entrée en force n’implique pas automatiquement un refoulement immédiat, celui-ci n’étant pas toujours possible. Va-t-on transférer dans des abris des familles avec des enfants scolarisés vivant depuis longtemps dans un appartement ? Même d’un point de vue purement administratif, on va au devant de situations tout simplement ingérables !

La suppression de l’aide sociale pour les personnes déboutées multiplie les inégalités et institue la misère parmi les personnes concernées. L’une des craintes est aussi que ces personnes en situation de détresse soient dès lors être tentées par ce que certains appellent la délinquance de subsistance. La délinquance de subsistance correspond à de la petite criminalité, principalement du vol ou du petit trafic, qui constitue l’un des derniers recours pour assurer sa survie. D’une manière générale, les statistiques montrent d’ailleurs que les requérants d’asile sont principalement impliqués dans ce type de délit plutôt que dans des infractions plus graves. Toutefois, la criminalité organisée pourrait également trouver avec ces personnes en détresse un nouveau bassin de recrutement. L’UDC et les élus de droite qui lui emboîtent le pas pourront donc continuer à faire l’amalgame entre délinquants et requérants d’asile sans que les statistiques ne viennent les contredire. Il faudra alors rappeler, comme nous devons déjà le faire aujourd’hui, qu’en plaçant des individus dans des situations inhumaines, ce sont ceux qui acceptent ces lois indécentes qui sont à la source de la criminalité qu’ils craignent et qu’ils dénoncent! En matière d’autogoal, il est difficile de faire mieux ! Je crains hélas que certaines têtes pensantes de l’UDC sont bien conscientes de ce mécanisme et qu’elles savent qu’elles pourront ainsi exploiter pendant plusieurs années encore leurs traditionnels fonds de tiroirs sur l’insécurité et les étrangers. Les grandes villes suisses qui sont directement concernées par les problèmes de petite criminalité ont dénoncé cette réduction de l’assistance à des personnes déjà démunies et s’opposent à la précarisation des requérants d’asile qu’entraînera la révision.

En regard des nombreux points évoqués plus haut, il n’est pas étonnant que diverses institutions internationales, comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Comité des Nations unies contre la torture, dénoncent le projet de loi suisse. Le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe s’émeut lui aussi de ce projet de révision. A ses yeux, ces nouvelles mesures posent un problème de compatibilité avec l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants inscrite à l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Avouons que pour un pays qui comme la Suisse se gargarise souvent de sa tradition humanitaire, il s’agit là d’un point particulièrement humiliant !