Didier Berberat
Conseiller aux Etats

19/08/2006, Zurich

Assemblée des délégué-e-s Jeunes socialistes

En guise de préambule, je tiens à préciser que mon exposé se concentrera principalement autour des problèmes de financement auxquels font face les villes de Suisse. J’espère que les habitants des zones rurales voudront bien m’en excuser. En fait, je chercherai principalement à expliquer puis à proposer quelques pistes de solution à un constat implacable : « les villes doivent faire face à des demandes de plus en plus élevées avec de moins en moins de moyens ».

Pour commencer, partons d’un autre fait avéré : la Suisse s’urbanise. Aujourd’hui, près de 75% de la population vit dans des villes et des agglomérations. Il y a 25 ans, cette proportion s’élevait à 60%. Il y a 50 ans, à 45%. Mais alors qu’on assiste à une concentration des infrastructures et des services dans les villes, les habitants sont de plus en plus nombreux aujourd’hui à s’installer en périphérie des grands centres. La surface des agglomérations ne cesse ainsi de s’accroître. Nous voici donc face à un premier problème : les villes doivent assumer leur rôle de centre alors que la population, et notamment la population aisée, se déplace en périphérie, dans des communes limitrophes, où elle bénéficie souvent de conditions fiscales plus avantageuses. Les centres se trouvent du même coup privés de recettes fiscales tout en devant construire et entretenir des infrastructures bénéficiant à toute l’agglomération.

Comment dès lors inverser la tendance ? La réponse paraît simple. Il faut inciter la population à revenir habiter au centre des villes ! Et nous voilà dans un beau dilemme ! Pour être attractive, une ville doit investir, offrir des prestations que l’on ne peut trouver ailleurs, être dynamique en organisant et soutenant des événements. Mais pour faire cela, il faut des ressources financières. Or comment faire revenir la population vers la ville avec un taux d’imposition beaucoup plus élevé que dans les communes avoisinantes ?

Indéniablement, nous sommes dans l’impasse ! A moins que le système en place ne change et que des mécanismes que la gauche défend depuis longtemps ne soient introduits ou sérieusement renforcés.

Une plus grande harmonisation fiscale est tout d’abord nécessaire. La concurrence fiscale qui existe à la fois entre les cantons mais aussi entre les villes suisses doit absolument s’atténuer. La chasse aux gros contribuables à atteint ses limites avec la décision de certains cantons d’introduire un impôt dégressif pour les grands revenus et les grandes fortunes !

Les 16 et 17 septembre prochains à Sursee, le Parti socialiste dans son congrès devrait décider s’il souhaite lancer une initiative afin de fixer un taux minimum d’imposition pour les hauts revenus dans notre pays. Les revenus à partir de 250'000 francs seraient frappés d'un taux minimal de 22% par les impôts cantonaux et communaux pris ensemble. Le seuil serait de 5 pour mille pour les fortunes de deux millions de francs et plus. Cette initiative va incontestablement dans le bon sens. De plus, elle ne touchera qu’une partie infime de la population. Moins de 2% de l'ensemble des contribuables suisses ont en effet un revenu ou une fortune supérieurs aux taux actuellement évoqués. Une autre solution consisterait à interdire sur le plan fédéral les barèmes dégressifs ou à imposer une échelle fiscale unique fixée par la Confédération. Les cantons seraient toutefois encore libres de choisir le taux d’imposition, peut-être à l’intérieur d’une fourchette.

En se livrant bataille sur leur taux d’imposition, les collectivités publiques de Suisse s’engouffrent aujourd’hui dans une stratégie où tout le monde est perdant. Il serait beaucoup plus sain que les villes et les cantons se fassent concurrence sur la qualité de leurs offres et de leurs prestations. Le problème est que, pour passer d’une stratégie à l’autre, il faut un accord entre tous les acteurs, ce qui est très difficile à obtenir. D’où la quasi obligation de changer les règles du jeu à l’échelle nationale comme se propose de le faire la prochaine initiative fiscale du parti socialiste.

Une autre idée, plus fondamentale encore, serait de changer la règle du lieu d’imposition. A terme, il faudra à mon sens réfléchir sérieusement à la possibilité de prélever l’impôt sur le revenu sur le lieu de travail. La fortune pourrait cependant continuer à être imposée sur le lieu de résidence tout comme les diverses taxes que nous connaissons aujourd’hui. Il me paraît en effet normal que le revenu soit imposé sur le lieu où il est généré. Un individu qui travaille dans une ville en utilise les services. Même le pendulaire qui ne se rend pas à la piscine ou au théâtre tous les jours utilise les infrastructures de transport et bénéficie des services de sécurité de la commune où il travaille. Ne croyez pas qu’il s’agisse là d’une idée révolutionnaire, l’Union européenne connaît un système proche. En matière de travail frontalier, cette solution serait également plus satisfaisante que les accords existant actuellement.

Naturellement, le renforcement des mécanismes de péréquation financière constitue également une solution possible. Cependant, il apparaît illusoire d’arriver à fixer un jour un taux suffisant qui permette aux villes devant assumer la majorité des coûts de s’y retrouver. La résistance des petites communes apparaît en effet trop grande. Au niveau suisse, la nouvelle répartition des tâches, la fameuse RPT, prévoit notamment de réallouer une partie des ressources aux cantons selon un indicateur mesurant leur degré d’urbanisation. Cependant, ce transfert bénéficiera premièrement aux cantons et rien ne dit que les villes toucheront finalement une partie de cet argent.

La solution n’est en tout cas plus, à mon sens, à trouver dans la création de concordats intercommunaux relatifs à des investissements précis. Il est en effet difficile, notamment pour les petites communes, de trouver suffisamment de volontaires ou de personnel pour faire partie des instances de gestion de ces concordats. Leur multiplication est par ailleurs synonyme de grande complexité administrative. L’un des reproches du Parti socialiste à la RPT est justement qu’elle encourage la création de concordats au niveau inter-cantonal cette fois.

Même si elle est synonyme de perte d’autonomie, la cantonalisation de certaines tâches peut parfois également constituer une solution intéressante. Le Canton de Neuchâtel réfléchit actuellement à la cantonalisation de l’ensemble de ses forces de police. Ceci permettrait d’une part de réaliser des économies d’échelle mais aussi de soulager quelque peu les villes qui assument des frais de sécurité élevés et pas uniquement pour leur propre population.

Mais tous ces mécanismes seront inutiles si l’on ne parvient pas à montrer concrètement aux gens qu’il existe un lien direct entre le montant des impôts qu’ils paient et la qualité et le nombre des prestations qu’ils peuvent recevoir. Naturellement, le réflexe premier d’un élu devant affronter des difficultés financières sera, surtout s’il est de gauche, de tenter d’offrir les mêmes prestations qu’auparavant avec des ressources plus faibles. Cependant, je ne crois pas qu’il s’agisse là de la bonne stratégie. Outre le fait qu’elle a des conséquences négatives directes sur la qualité de vie des membres de l’administration communale, menacés de surmenage, une telle politique fait croire aux gens que les prestations auxquelles ils ont actuellement droit sont acquises à jamais.

Différents débats fiscaux portant sur une baisse puis sur des hausses d’impôts ont récemment eu lieu à la Chaux-de-Fonds. A mon sens, une population qui fait le choix de moins d’impôts devrait, si les finances de la commune sont mises en difficulté, être clairement informée préalablement des prestations qui seront réduites ou carrément supprimées. Une telle politique n’a pas pour but de prendre la population en otage mais simplement de donner un vrai choix aux citoyens entre deux avenirs possibles pour leur ville. Il est généralement plus facile de se faire une idée de ce que l’on aura ou non si l’on accepte ou refuse un crédit d’investissement que de se rendre compte de ce qui va manquer si la commune doit réagir à des difficultés financières. Confrontée à de graves problèmes économiques, la Ville de La Chaux-de-Fonds a dû restreindre plusieurs de ses prestations. Certains choix ont directement affecté la population dans son ensemble. Le déneigement et l’entretien de certaines routes n’ont ainsi pas été assurés cet hiver. Les prix d’entrée des musées et des infrastructures sportives ont également été revus à la hausse tout comme les montants demandées aux sociétés locales souhaitant utiliser des infrastructures appartenant à la commune. Douloureuses, ces mesures auront, je l’espère, permis à la population de se rendre compte du lien qui existe entre le volume des prestations que peut fournir une collectivité publique et celui des ressources dont elle dispose.

Mais naturellement, si une commune veut rester dynamique et attractive, elle ne peut pas non plus baisser éternellement toutes ces prestations. Sans possibilité d’investissement sur des projets ambitieux, les collectivités publiques ne peuvent plus atteindre le degré d’attractivité nécessaire. Le risque est alors grand de tomber dans une spirale négative. Le danger du trop peu d’impôt n’est donc pas uniquement un problème de court terme. Il se ressent également sur une échelle de temps plus longue.

Si certains exemples récents nous ont montré qu’il est possible de gagner certaines votations s’opposant à des cadeaux fiscaux accordés aux plus riches voire à des baisses d’impôts, il est très difficile en revanche de proposer avec succès une augmentation de la fiscalité. Comme l’a montré une étude de l’administration fédérale des finances, l’imposition d’un contribuable moyen a diminué en Suisse entre 1970 et l’année 2000. Néanmoins, en tenant compte de la hausse des primes d’assurance-maladie, les dépenses obligatoires du citoyen moyen se sont accrues. La hausse annuelle des dépenses liées à la santé asphyxie littéralement une partie non négligeable de la population. Selon moi, la bataille pour la caisse maladie unique dépasse largement les enjeux du seul financement du système de santé suisse. Si l’on arrive à mettre un frein à ces hausses continuelles, on pourra peut-être également rendre le citoyen helvétique plus attentif au fait, qu’en comparaison internationale, il peut s’estimer relativement peu taxé.

En conclusion, je souhaite rappeler que la solidarité doit rester un élément clé du débat fiscal. La solidarité doit naturellement exister entre les contribuables, les citoyens les plus riches contribuant par des mécanismes de redistribution au bien-être des plus faibles. Mais une solidarité doit aussi s’exprimer entre les collectivités publiques. Un développement harmonieux du territoire passe par une réelle réforme de la fiscalité en Suisse qui devrait bénéficier plus largement aux villes. C’est la seule manière de freiner l’urbanisation des zones rurales et de conserver des centres forts, dynamiques et attractifs. La concurrence fiscale entre les collectivités publiques doit céder sa place à une concurrence basée sur l’innovation et l’offre de prestations. Les notions de paradis et d’enfers fiscaux doivent devenir des concepts démodés. Le paradis et l’enfer c’est pour les morts, or je vous invite à nous battre pour des collectivités publiques bien vivantes !