Didier Berberat
Conseiller aux Etats

07.3336 - Interpellation

Déposé par : Didier Berberat
Date de dépôt : 14.06.2007
Déposé au : Conseil national
Etat actuel : Pas encore traité


Texte déposé :

Les fonds Duvalier de 7,6 millions de francs sont bloqués en Suisse depuis juin 2002 sur ordre du Conseil fédéral. Au lieu d'être restitués à la République d'Haïti, ils devront vraisemblablement être libérés puisque la législation actuelle l'impose. Pour qu'une telle rétrocession ne puisse plus être possible à l'avenir, je prie le Conseil fédéral de nous indiquer s'il est prêt à proposer une révision législative afin de combler les lacunes actuelles du droit suisse et d'empêcher ainsi la reproduction de ce scénario catastrophe.


Développement :

Pour que la Suisse restitue les avoirs de potentats au pays d'origine victime, ce dernier doit être en mesure d'intenter contre son ancien dictateur un procès avec un minimum de garanties à l'appui. Or, si cette longue procédure ne peut se dérouler à satisfaction, souvent sans la faute du nouveau gouvernement, la restitution des fonds devient légalement impossible. La procédure d'entraide judiciaire demandée par Haïti n'ayant pas abouti, les fonds bloqués ne pouvant être gelés indéfiniment, la Suisse s'apprête à rendre les fonds aux proches de l'ex-dictateur Duvalier, bien que ce dernier soit accusé par Haïti d'avoir détourné plus de 100 millions de dollars sous le couvert d'oeuvres sociales. Haïti, l'un des pays les plus pauvres du monde, se verra ainsi privé de biens qui devaient lui revenir en toute légitimité. Si l'on veut éviter que ce genre de scandales ne se reproduisent à l'avenir - puisqu'il y a risque que le même problème se pose en 2008 avec les fonds détenus par l'ex-dictateur zaïrois Mobutu - il est urgent de modifier la législation afin que les avoirs de potentats soient restitués au pays d'origine même en l'absence de procédure. Il est nécessaire de prévoir des blocages de fonds de plus longue durée jusqu'à leur restitution définitive, afin de s'assurer que les fonds n'aboutissent pas entre les mains d'un non-gouvernement ou d'un autre dictateur.


Réponse du Conseil fédéral (12.09.2007) :

La Suisse a tout intérêt à éviter que sa place financière soit abusée par le dépôt d'avoirs d'origine illicite. A cette fin notamment, la loi fédérale sur l'entraide judiciaire en matière pénale (EIMP) a été renforcée en 1996 et la loi contre le blanchiment d'argent est entrée en vigueur en 1998. Ces deux lois constituent les principaux mécanismes pour identifier, bloquer, confisquer et restituer des fonds illicites. Selon la législation actuelle, la lutte contre la criminalité financière relève principalement des autorités judicaires (procureurs, tribunaux). Les exemples des cas Marcos, Montesinos et Abacha démontrent que ce système fonctionne généralement bien. Il est internationalement reconnu et pratiqué et offre en outre aux accusés les garanties procédurales nécessaires. Néanmoins, quelques cas tels que les cas Duvalier et Mobutu ont démontré certaines limites des procédures existantes. Dans ces deux cas, les autorités de l'Etat requérant n'étaient, du moins jusqu'à présent, pas en mesure de demander l'entraide judiciaire ou de satisfaire aux standards et conditions de l'EIMP. Ainsi, la Suisse cherche depuis 1986, date à laquelle les fonds Duvalier ont été bloqués en exécution d'une demande d'entraide judiciaire haïtienne, une solution pour rapatrier les fonds en question. Etant donné que cette procédure est restée infructueuse, le Conseil fédéral a décidé (en 2002 pour ce qui est de ces fonds) de bloquer ces fonds sur la base de l'article 184 alinéa 3 de la Constitution fédérale. Toutefois, une telle mesure n'offre qu'une solution temporaire, puisque les fonds ne pourraient pas être confisqués par le Conseil fédéral en l'absence d'une base légale formelle l'autorisant; leur remise à l'Etat requérant aux fins de confiscation nécessiterait quant à elle en règle générale un jugement définitif et exécutoire de l'Etat requérant. Par ailleurs, même si une restitution de fonds à l'Etat requérant s'avère possible, celui-ci n'est pas toujours en mesure de gérer les fonds d'une manière transparente et d'en assurer une affectation équitable et durable à des fins d'utilité publique. Différentes solutions existent et ont été appliquées dans le passé pour assister les Etats dans de telles situations afin de garantir que de tels fonds ne soient pas détournés à nouveau: dans certains cas, la Suisse a coopéré avec des institutions internationales telles que la Banque mondiale pour assurer une utilisation équitable, dans d'autres cas les fonds ont été destinés à des projets concrets et gérés ou supervisés par des mécanismes suisses. Le Conseil fédéral est en train d'étudier les différentes procédures existantes pour restituer des fonds bloqués en Suisse et les possibilités qu'offre le droit actuel pour gérer des situations impliquant des Etats qui ne sont pas en mesure de répondre aux exigences d'une procédure d'entraide judiciaire. Cette étude concerne, d'une part, la législation actuelle et, d'autre part, les modalités et moyens à disposition pour assurer une utilisation correcte des fonds restitués à des fins d'utilité publique. Si cette étude devait mettre à jour des lacunes dans la législation actuelle, elle pourrait, le cas échéant, aboutir à la proposition d'adapter le cadre légal pour des cas où il est manifeste que le dysfonctionnement du système judiciaire d'un pays donné est la cause de son impossibilité à demander l'entraide judiciaire ou à satisfaire aux standards et conditions de l'EIMP.


Bulletin officiel - les procès-verbaux


Compétence :

Département des affaires étrangères

Cosignataires :

Rennwald Jean-Claude - Rossini Stéphane - Savary Géraldine (3)