Didier Berberat
Conseiller aux Etats

Le couperet est tombé, l'Office fédéral du travail, que la gauche et les syndicats appelaient de leurs voeux, ne verra pas le jour, du moins pour l'instant. Pourtant, l'occasion était rêvée de profiter de la fusion de l'Office du développement économique et de l'emploi (OFDE) et de l'Office fédéral des affaires économiques extérieures (OFAEE), pour enfin créer un Office fédéral du travail qui soit indépendant du futur Secrétariat d'État à l'économie (SECO). Le Conseil fédéral n'en a pas voulu et c'est à coup sûr une grave erreur politique, à une époque où les travailleuses et les travailleurs sont de plus en plus confrontés aux effets pervers de la mondialisation de l'économie. La création du SECO, qui aura une orientation économique très forte, fait courir le risque que la protection des travailleuses et des travailleurs, qui est actuellement de la compétence de l'OFDE, ne soit en quelque sorte noyée dans cette mégastructure. C'est la raison pour laquelle j'avais déposé un postulat tendant à créer, à côté de ce Secrétariat d'État, un Office fédéral du travail, postulat qui a été accepté par le Conseil fédéral le 3 février dernier. Certes, il ne s'agissait que d'une demande d'étude, mais en acceptant le postulat, le Conseil fédéral avait créé un espoir, vite déçu. A mon sens, un tel Office répondait à un besoin évident, ce qu'ont d'ailleurs compris tous les pays qui nous entourent et qui sont tous dotés d'un ministère du travail. Cet Office ayant une orientation de politique sociale aurait dû avoir voix au chapitre, afin d'être un réel contre-poids social au SECO et jouir d'une crédibilité tant à l'intérieur de l'administration que vis-à-vis des partenaires sociaux. Ainsi, le domaine du travail au sens large ne sera plus qu'un sous-domaine de l'économie et deviendra le parent pauvre au sein du SECO, même si il existera dans cette future structure une Direction du travail. Un tel état de fait, qui représente un pas en arrière par rapport à la situation actuelle, n'est naturellement pas admissible pour un secteur de cette importance. Comment veut-on, en effet, marier la politique du marché du travail avec le commerce international, qui sont deux domaines régis par des philosophies complètement différentes? A l'heure actuelle, la mondialisation, les mutations technologiques, l'intégration indispensable à l'Union européenne et les autres changements importants et rapides qui bouleversent et inquiètent à juste titre le monde du travail exigent de nouvelles solutions en matière de protection des travailleurs. En créant cet Office, on aurait enfin répondu à ces préoccupations et apporté une contribution essentielle à la cohésion et à la paix sociales. Malheureusement, en voulant inclure le secteur de la main d'oeuvre étrangère – qui dépend du Département de justice et police – dans cet office, ce qui peut d'ailleurs se justifier, le conseiller fédéral Pascal Couchepin a placé la barre trop haut et a brusqué le Conseil fédéral, dont les deux membres PDC allaient changer à peine quelques jours plus tard. Espérons pour les travailleuses et les travailleurs de ce pays que l'Exécutif fédéral renouvelé saura vaincre certaines susceptibilités de ses membres et qu'il accepte de revenir prochainement sur sa décision négative en créant cet instrument indispensable. Car, en réclamant la création de cet Office indépendant du SECO, on ne fait que rappeler une vérité première: à savoir que l'économie n'est pas un but en soi, mais qu'elle vise à donner du travail aux gens afin qu'ils puissent vivre décemment.