Didier Berberat
Conseiller aux Etats

Il est évident que les problèmes que doit affronter notre pays ne manquent pas, que ce soit en matière sociale ou d'emploi. Mais, dans un autre domaine, la récente décision du canton de Zurich d'enseigner l'anglais avant le français à l'école primaire me semble aussi très inquiétante. Certes, il ne s'agit pour l'instant que d'un essai, qui durera jusqu'en 2001 et qui concernera une soixantaine de classes. Ce projet n'est d'ailleurs pas passé inaperçu, puisque le Conseil d'État vaudois a officielle-ment protesté auprès du gouvernement zurichois, en estimant qu'une telle décision était de nature à compromettre les fondements du lien confédéral. La Conférence des Directeurs de l'instruction publique avait pour-tant réussi, dans une première phase, à calmer les ardeurs zurichoises, en désignant un groupe de travail chargé d'élaborer une conception nationale de l'enseignement des langues, dont le rapport est attendu pour cet été. Hélas, poussé par certains milieux proches de l'économie, notamment les radicaux, le canton de Zurich n'a pas souhaité attendre plus longtemps pour aller de l'avant, sous la pression de ultra libéral conseiller d'Etat Ernst Buschor. Il n'est pas dans mes intentions de minimiser l'importance de l'anglais, qui est d'ailleurs une langue que personnellement j'apprécie. Je suis également conscient du fait que l'anglais a plus "la cote" auprès des jeunes que l'allemand en ce qui concerne les élèves romands ou le français pour ceux de Suisse alémanique, puisque ceux-ci sont beaucoup plus attirés et motivés par la culture anglo-saxonne.

Manque de solidarité confédérale

Ce qui est inquiétant ici, c'est que la priorité donnée par le canton de Zurich démontre le peu d'importance que l'on accorde désormais dans certains milieux de droite des bords de la Limmat à la cohésion interne de notre pays. De plus, on doit craindre que ce projet ne soit motivé que par des impératifs économiques et non culturels, au nom de la sacro-sainte loi du marché. L'exemple de ce canton, centre de la Suisse des affaires et de la finance, pourrait faire tâche d'huile et se voir imité par les autres cantons alémaniques, qui sont en position d'attente. Ce qui est certain, c'est qu'en privilégiant l'anglais tout en se retranchant simultanément derrière son dialecte, Zurich ignore progressivement les autres communautés linguistiques de notre pays, ce qui dénote un manque évident de solidarité confédérale.

Une réaction s'impose donc, et la réforme en cours de notre Constitution fédérale devrait en être l'occasion. Ce projet, qui sera traité lors de la session spéciale de fin avril par le Conseil national, prévoit en son article 83a que «la Confédération et les cantons encouragent la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques.. J'ai déposé, dans ce but, une proposition demandant de compléter cette disposition en stipulant que les cantons veillent à ce que la deuxième langue enseignée, après la langue officielle du canton ou de la région concernée, soit une des langues nationales.

Une politique des langues favorable aussi à l'intégration européenne

Cette proposition irait d'ailleurs dans le sens des directives de l'Union européenne qui prévoient que, à côté de sa langue maternelle, chaque enfant devrait pouvoir apprendre la langue du voisin – pour nous l'allemand – et une langue internationale courante, à savoir l'anglais. En effet, il ne sert à rien de parler dans la Constitution de compréhension et d'échanges entre les communautés si on ne se donne pas les moyens d'atteindre ce but fondamental pour l'existence même de notre pays.

Il m'apparaît cependant essentiel que les méthodes d'apprentissage des langues nationales soient encore plus attrayantes que celles utilisées actuellement. Cela s'impose quand on pense que notre pays dépense environ 3 milliards par an pour l'enseignement des langues, pour des résultats somme toute très moyens. Il s'agirait donc de mettre l'accent sur de nouvelles méthodes qui sont déjà appliquées ici ou là, par exemple l'enseignement bilingue par immersion ou la généralisation des échanges linguistiques, qui permettent non seulement d'améliorer les connaissances d'une deuxième langue nationale, mais aussi d'aller à la rencontre d'une autre culture et d'autres concitoyennes et concitoyens.