Didier Berberat
Conseiller aux Etats

La fronde menée contre l’arrêté Bonny par sept cantons alémaniques, soit Zürich, Zoug, les deux Bâles, Argovie, Schwyz et Nidwald a de quoi laisser pantois ! Ces sept cantons qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne sont pas confrontés à des difficultés financières et économiques contestent cet instrument de politique régionale jugeant que celui-ci crée des distorsions dans la concurrence fiscale et devrait, s’il n’est pas purement et simplement aboli, concerner le moins possible de régions. Il est vrai qu’en matière de concurrence fiscale dommageable, ces cantons sont depuis longtemps passés maîtres et il est pour le moins surprenant, voire choquant, de constater que ce sont justement ceux qui pratiquent et encouragent une concurrence fiscale complètement suicidaire pour notre pays et les autres cantons moins bien lotis qui s’élèvent contre l’arrêté Bonny.

Rappelons tout d’abord que cette mesure de politique régionale a été mise sur pied à la fin des années septante suite à la crise horlogère et textile qui a eu lieu durant cette décennie. A titre d’exemple, le canton de Neuchâtel, frappé de plein fouet par cette crise horlogère, a perdu 10 000 emplois en quelques années et nous n’avons pas eu le sentiment que cette situation dramatique suscitait l’inquiétude ou la solidarité de ces cantons qui nous font maintenant une leçon d’orthodoxie économique.

Il n’est non plus pas inutile de rappeler que, depuis sa création, l’arrêté Bonny a permis de maintenir ou de créer 20 000 emplois dans les régions qui en ont bénéficié. C’est donc un instrument de solidarité confédérale qui continue à être indispensable, raison pour laquelle le Groupe socialiste des Chambres fédérales, notamment sa délégation romande a, à chaque fois, été le moteur de ses reconductions successives, malgré l’opposition d’une partie de la droite parlementaire dont l’UDC, qui estimait que cet instrument donnait un avantage indu aux régions qui en bénéficiaient.

Le principe d’équité veut que l’on traite d’une manière égale des situations égales et de manière différente des situations différentes. Viendra peut-être le temps où l’arrêté Bonny deviendra inutile lorsque toutes les régions qui en bénéficient disposeront des mêmes conditions-cadres (liaisons ferroviaires et routières, proximité d’un aéroport, etc.). Pour l’instant, nous en sommes encore loin.

La partie n’est toutefois pas encore gagnée car, en plus de l’égoïsme manifesté par ces cantons nantis, il a encore fallu lutter afin de convaincre le Conseil fédéral, et notamment Doris Leuthardt, afin que cette mesure faisant partie de la nouvelle politique régionale couvre réellement le bassin de population qui en a besoin. En effet, le projet mis en consultation est minimaliste puisqu’il ne couvre que 10% de la population suisse alors qu’actuellement, cette proportion est de 27%. Fort heureusement, les cantons romands ainsi qu’un certain nombre de parlementaires fédéraux se sont élevés contre cette proposition et nous espérons que leurs voix seront entendues puisque, si on en reste à la version initiale, l’arrêté Bonny sera, en grande partie privée de sa substance. De plus, cela sera totalement contre-productif tant pour les régions écartées que pour la compétitivité de la place économique suisse confrontée à une féroce concurrence internationale.

Un autre risque existe, dans la mesure où la nouvelle répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT) qui entrera en vigueur l’an prochain prétérite les cantons bénéficiaires puisqu’elle leur impute artificiellement des impôts qu’ils ne touchent pas en raison des allègements fiscaux ciblés qu’ils consentent, pour une durée limitée, à certaines entreprises installées sur leurs territoires.

Reste à espérer que la solidarité confédérale finira par s’imposer plutôt que certains égoïsmes cantonaux.

Didier Berberat, Conseiller national