Didier Berberat
Conseiller aux Etats

16/06/2007, La Chaux-de-Fonds

Journée internationale des réfugiés

Une personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays… ». Voilà ce qu’est un réfugié selon la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, une personne en danger qui n’a plus la protection de son pays et qui a besoin de l’aide internationale. Nous sommes aujourd’hui rassemblés en ce lieu, caravansérail où la rencontre permet le partage et l’échange, où le débat s’installe pour supprimer les préjugés, les propos qui véhiculent injustement la peur de l’autre. Que dire à ces millions de réfugiés quand la douleur, le déchirement, le déracinement qu’ils vivent est indicible, innommable ? Comment trouver les mots lorsque les yeux crient violemment alors que la bouche reste close ? Comment leur demander où est-ce qu’ils trouvent la force, le courage pour reconstruire une nouvelle vie ? Comment vivre l’espoir qui les anime, cet espoir qui leur fait surmonter la détresse et le doute ? Comment font-ils lorsqu’ils regagnent leur pays, un pays dévasté par la guerre, par les atrocités, pour retrouver le courage et pour croire à nouveau ? Et quand ils restent dans le pays d’accueil en sachant qu’ils ne pourront plus retourner chez eux, où trouvent-ils cette énergie pour sourire, pour amener un souffle de vie, de couleur, de diversité culturelle dans ces lieux qui leur appartiennent déjà ? Chaque nation a été confrontée dans son histoire au drame des réfugiés. En sachant que parfois les rôles s’inversent. Et si nous étions nous-mêmes d’anciens réfugiés… Si nous avions dû perdre notre maison, perdre notre famille, perdre notre emploi, si nous avions dû partir brusquement pour un pays étranger et affronter tous les jours la crainte et l’incertitude, comment aurions-nous fait pour survivre, pour rassembler tous les infimes morceaux épars de notre existence brisée ? Partir ailleurs. Là où les tirs ne se font plus entendre, là où le ciel respire la paix et offre un refuge. Partir et être accueilli dans un autre pays. Voilà ce que serait notre espérance, notre croyance. Un réfugié est un homme, une femme comme n’importe qui d’entre nous. En Suisse, nous pouvions être fiers de notre tradition humanitaire longtemps préservée. Pouvons-nous encore l’être aujourd’hui lorsque la politique d’accueil de contingents de réfugiés est abandonnée, lorsque les frontières s’épaississent, lorsque le durcissement des lois sur l’asile et les étrangers est adopté par référendum en septembre 2006, lorsqu’un mois auparavant, le Conseil fédéral refuse d’accueillir des réfugiés Irakiens ? Cet exemple des réfugiés Irakiens montre bien le problème qui se pose en Suisse. Bien que les conseillers fédéraux socialistes, Micheline Calmy-Rey et Moritz Leuenberger, ont désapprouvé le renvoi de ces réfugiés, bien que le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a regretté cette décision, rien n’a pu y changer : la Suisse dit non aux réfugiés irakiens. Pourtant Christoph Blocher qui chapeaute l’Office fédéral des migrations, avait laissé entendre à maintes reprises lors de la campagne de votation sur les lois sur l’asile et les étrangers que le but était de combattre les abus pour n’accueillir que les « vrais réfugiés ». Les réfugiés irakiens ne sont-ils pas de vrais réfugiés ? Il s’agissait d’accueillir 500 réfugiés irakiens « très vulnérables » selon le HCR. On entend des personnes traumatisées par les violences, des personnes torturées, des enfants abandonnés pouvant être enrôlés de force dans l’armée et faire partie des 300 000 enfants-soldats de notre planète, des enfants n’ayant pas accès à la formation, des femmes exposées souvent à des violences sexuelles, en situation de détresse, ayant besoin de nourriture, d’abri, de soins médicaux. Lorsque l’on sait que 50 000 Irakiens fuient leur maison chaque mois, qu’1,9 millions d’Irakiens ont cherché refuge à l’intérieur du pays, que 2 millions ont rejoint les pays voisins (essentiellement la Syrie et la Jordanie), que la Suisse n’enregistre que 816 demandes d’asile d’Irakiens alors que des pays comme la Suède en enregistre 9 000, nous ne pouvons être que choqués par la décision du Conseil fédéral. Selon le HCR, 75% des réfugiés sont des femmes et des enfants. Ce chiffre atteignant les 90% lorsque les hommes sont tués lors d’affrontements. Oui, il faut trouver des solutions durables pour les réfugiés afin qu’ils puissent rejoindre leur pays d’origine mais quand celui-ci vit une « crise humanitaire prolongée », cela devient tout simplement impossible, il est alors de notre devoir de faciliter leur intégration dans leur pays d’asile. Arrêtons les préjugés ! Arrêtons de dire qu’on ne peut accueillir toute la misère du monde! Arrêtons de dire qu’il y a trop de réfugiés, que la Suisse est submergée ! Arrêtons de penser que les requérants d’asile viennent en Suisse pour profiter de l’assistance ! Arrêtons de voir des abus là où il n’y en a pas ! La Déclaration universelle des Droits de l’Homme clame à l’article 14 §1 « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Avons-nous déjà oublié les guerres qui ont ravagé l’Europe ? Tout être humain a droit à un refuge. Il faut savoir que la majorité des réfugiés fuient vers les régions voisines de leur lieu d’origine. Ainsi l’Asie accueille 36% de réfugiés, l’Afrique 25%. L’Europe accueille 25% de réfugiés principalement issus des Balkans. Ainsi réfugiés reconnus, personnes admises provisoirement, requérants d’asile ne représentent que 0,9% de la population suisse. La barque est loin d’être pleine. Selon les statistiques de l’Office fédéral des migrations, le chiffre annuel des demandes d’asile est le plus bas depuis 1988 mais il en reste quand même qu’en 2004, l’Office fédéral des migrations note 14 248 demandes d’asile alors que 19 730 renvois et départs sont annoncés… Colombiens, Sierra-leonais, Guinéens, Ethiopiens Albanais, Serbes du Kosovo, Palestiniens, Irakiens, Afghans, Sri lankais, Somaliens, Tchadiens, Angolais, Tchétchènes, Kurdes, Togolais, Congolais, réfugiés, apatrides, requérants d’asile, pour tout être humain vivant l’innommable, il est urgent de nous révolter et de nous battre pour leur venir en aide en renouant avec une autre politique, une véritable politique d’accueil et d’intégration, une politique humaniste, digne de la Suisse !