Didier Berberat
Conseiller aux Etats

20/08/2004

Permettez-moi avant toute chose d’adresser mes remerciements sincères à la Fondation suisse d’éducation pour l’environnement qui m’a fait l’honneur de m’inviter à célébrer avec vous ses dix ans d’intense activité. A l’occasion de ce bel anniversaire, je tiens à saluer les efforts déployés par la FEE depuis sa création. Ceux-ci ont déjà permis d’aboutir à un nombre impressionnant de résultats concrets, contribuant à la sensibilisation et à une meilleure connaissance des générations actuelles et futures des problèmes environnementaux. Ainsi, on ne peut aujourd’hui que se réjouir que, sous l’impulsion de la FEE, l’éducation à l’environnement et l’éducation au développement durable fassent désormais partie du programme de chaque Haute école pédagogique de Suisse, sous la forme d’une discipline principale ou secondaire.

Mais la FEE, et c’est tout à son honneur, ne souhaite pas en rester là ! En témoigne le projet intitulé « Avenir Education Environnement Suisse » mis en œuvre à son initiative en collaboration avec la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique, qui réfléchit, en explorant des pistes multiples, au développement de la future éducation à l’environnement. En témoigne aussi, le sujet qu’elle m’a chargé de développer dans mon intervention de ce jour : « réfléchir à quoi pourrait ressembler l’éducation à l’environnement dans 10 ans ».

S’il n’est pas forcément aisé d’y répondre, cette question mérite d’être posée et d’être débattue dès aujourd’hui. Malheureusement, tout porte en effet à croire que les problèmes environnementaux de ce jour tendent plus à s’aggraver qu’à disparaître. Dans dix ans, les problématiques écologiques et de développement durable seront ainsi, à n’en pas douter, plus que jamais au cœur de l’actualité. Dans ce contexte, il apparaît donc opportun de réfléchir sans tabou à la manière dont les jeunes générations devront être sensibilisées à ces thèmes. Nos enfants devront en effet être capables d’apporter des réponses plus adéquates que les nôtres aux problèmes qui menacent notre planète.

L’avenir de l’éducation à l’environnement paraît ainsi bien assuré d’autant qu’elle est indispensable à la concrétisation des articles 2 et 73 de notre Constitution fédérale visant à réaliser le développement durable. Les perspectives du nouveau plan d’étude romand, le PECARO, mettent d’ailleurs en évidence la sensibilisation de l’apprenant à l’environnement. Il reste néanmoins à espérer que les difficultés financières présentes et à venir des collectivités publiques ne servent pas de justification à des limitations voir à des suppressions de budget pour ce genre de programme. Il convient également de préciser que l’éducation à l’environnement ne devrait pas être réservée aux enfants et adolescents en études. Les programmes de formation continue devraient ainsi également aborder les questions liées à l’environnement et au développement durable. Notre génération ne saurait en effet compter uniquement sur les générations futures pour réparer ses erreurs !

Au fil des ans, l’école est appelée à sensibiliser ses élèves à un nombre toujours plus important de situations et de problèmes. Aux traditionnelles leçons d’éducation routière et d’éducation sexuelle sont venues s’ajouter des heures pour apprendre à se comporter dans les transports en commun et à adopter une attitude prudente envers nos compagnons à quatre pattes. Pour la plupart justifiées et même indispensables, ces périodes d’enseignement consacrées à l’éducation réduisent néanmoins le temps dont l’école dispose pour instruire les élèves dans les disciplines fondamentales telles le français, les mathématiques ou les langues étrangères. A mon avis, l’éducation à l’environnement ne doit pas se résumer à quelques heures de sensibilisation à l’écologie. Elle ne devrait pas non plus prendre la forme d’un enseignement dispensé dans le cadre d’une seule discipline spécialisée. L’éducation à l’environnement peut et doit avoir lieu dans une perspective transversale d’ailleurs recherchée aujourd’hui dans un nombre croissant de thématiques. Ainsi, la problématique du développement durable peut être abordée de manière aussi variée que passionnante par une majorité de disciplines. De la physique à la géographie, de l’histoire à l’économie, le développement durable et la gestion des ressources naturelles sont au centre des débats ! La philosophie pourrait également être convoquée pour expliquer de manière détaillée que tous les choix sont la résultante de conflits d’intérêts et que la question environnementale est elle-même le produit de systèmes de valeurs individuels et collectifs. Au niveau de l’école obligatoire, un important travail est à fournir afin que les futurs manuels scolaires des différentes disciplines abordent la question du développement durable sous des perspectives variées.

Mais la sensibilisation aux problèmes environnementaux et au concept de développement durable ne doit pas se limiter à un apport théorique enseigné aux individus. La théorie se doit de trouver un réel écho dans des expériences pratiques menées au quotidien. Aujourd’hui, les institutions scolaires portent de plus en plus d’attention aux questions environnementales, à travers, par exemple, l’utilisation plus fréquente de papier recyclé, l’offre d’une alimentation équilibrée dans les cafétérias (notamment par le label « fourchette verte ») ou la limitation des dépenses en énergie. A La Chaux-de-Fonds, les collèges sont sensibles au tri des déchets et, dans les écoles secondaires, après la récréation de 10h00, une classe est chargée, selon un tournus défini, de procéder au nettoyage de la cour. Ces efforts doivent devenir systématiques et être expliqués aux différents acteurs de l’école : enseignants, enfants, mais aussi parents, personnel et médias. Lors de la construction d’un nouveau bâtiment scolaire, toutes les mesures engagées en faveur du développement durable devraient ainsi être communiquées et expliquées. Une meilleure information des mesures prises par l’école en faveur de l’environnement permettrait de les valoriser et d’encourager les enfants et leurs parents à les appliquer à la maison également.

Les questions environnementales et de développement durable devraient entrer en considération dans toutes les décisions prises par l’école. Est-il par exemple vraiment profitable d’exploiter les bas prix proposés par certaines compagnies d’aviation pour permettre des voyages d’études aux destinations lointaines alors que l’accroissement du trafic aérien a des conséquences importantes sur notre écosystème ? Les produits de nettoyage utilisés par le personnel de conciergerie respectent-ils les normes environnementales les plus sévères ? En outre, les enseignants d’économie familiale ne devraient-ils pas privilégier les produits régionaux, ceux de l’agriculture biologique ou ceux respectant un commerce équitable ? Des actions comme le Pedibus, qui propose aux enfants en bas âge de se rendre à l’école à pied en étant accompagnés, méritent par ailleurs d’être fortement encouragées, car elles ont des conséquences positives non seulement en matière de santé publique, mais aussi au niveau social et écologique.

La participation d’un maximum d’écoles à l’agenda 21 local, comme le recommande le rapport « Avenir Education Environnement Suisse », est un objectif réaliste et rassembleur. Le cadre de l’agenda 21 fournit des références utiles et motivantes aux différents partenaires appelés à en respecter les critères. Les buts de l’agenda 21 pourraient ainsi devenir les buts de l’école où toutes les parties, enfants, parents comme enseignants et direction, peuvent se sentir concernées.

A l’heure d’Internet, l’enseignement à l’environnement bénéficie également d’un support sans précédant pour montrer que les problèmes environnementaux concernent l’ensemble de la planète. Une véritable solidarité par l’environnement a aujourd’hui la possibilité de se mettre en place. Par courriel, des classes du monde entier pourraient échanger leur expérience de mise en œuvre du développement durable, discuter des problèmes environnementaux de chacun et échanger des idées. Les élèves de nos écoles pourraient en outre faire l’exercice de calculer leur « empreinte écologique », c’est-à-dire la surface terrestre nécessaire pour répondre à leur consommation de ressources et à leurs besoins d'absorption de déchets. En la comparant avec celle de leurs camarades des pays en développement, ils pourraient mieux se rendre compte des conséquences de notre mode de vie et de l’ampleur considérable des efforts qui restent à entreprendre.

Le concept du développement durable est construit autour de l’idée du transfert entre les générations. Dans dix ans, une partie de ceux qui sensibiliseront les plus jeunes aux problèmes environnementaux sont ceux qui aujourd’hui même sont initiés à l’étude de ces problèmes. Afin de souligner que les efforts écologiques sont les affaires de toutes les générations, les projets concrets liés à l’enseignement à l’environnement devraient non seulement permettrent de rapprocher les élèves des différents degrés d’un collège mais devraient aussi associer leurs parents. Les élèves pourraient d’ailleurs devenir à leur tour, à travers des exemples concrets tels des expositions réalisées par leurs soins, les enseignants des questions du développement durable tant vis-à-vis de leurs jeunes camarades que de leurs parents.

Dans dix ans, l’éducation à l’environnement aura pleinement réussi si les enfants deviennent ses acteurs au quotidien. Les règles du respect de l’environnement ne seront pas imposées mais discutées puis établies d’un commun accord. Ces règles pourront même être suscitées par les enfants eux-mêmes. La classe a-t-elle vraiment besoin d’être chauffée aujourd’hui ? Cette colle à bois utilisée pour notre bricolage est-elle respectueuse de l’environnement ? Voilà des questions plus pertinentes qu’impertinentes que les professeurs pourraient s’entendre poser par leurs élèves dans dix ans !