Didier Berberat
Conseiller aux Etats

On ressent déjà depuis quelque temps une certaine agitation autour du financement additionnel de l’AI qui sera voté le 27 septembre prochain. On oublie souvent que ce même dimanche un autre objet plus discret et pourtant pas si anodin fera également parti du scrutin : la suppression de l’initiative populaire générale. L’initiative populaire générale devait donner la possibilité à 100'000 citoyens de déposer une initiative rédigée en termes généraux dont le degré normatif, constitutionnel ou légal, devait, en cas d’acceptation, être défini après coup par le Parlement. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation particulière puisqu’il s’agit de demander à la population d’avaliser la suppression d’un article constitutionnel censé introduire un outil démocratique qui n’est jamais entrée en force faute de règles d’application. Il s’agit d’une étape supplémentaire dans le long débat qui occupe ce pays depuis trente ans en matière de droits politiques : quelles sont les limites de la démocratie directe ? Quels sont les outils les plus adéquats qui permettent d’allier cette démocratie à un déroulement serein des procédures et du respect de l’ordre normatif ?

L’introduction de l’initiative législative suscite depuis longtemps de nombreux débats et interventions. Assez vite, c’est la voie de l’initiative générale qui est privilégiée dans les discussions parlementaires. Dans les années 1970, la commission d’experts chargée d’examiner la refonte de la constitution estime qu’il s’agit-là d’un bon moyen de vider une constitution quelque peu dénaturée par l’ensemble des articles qui sont venus s’y insérer au fil des initiatives populaires, jusque là uniquement constitutionnelles. L’interdiction de l’absinthe, figurant dans l’ancienne constitution fédérale, reste en ce sens un exemple fameux. L’idée d’une initiative générale revient, ponctuellement, au cours des décennies suivantes, mais elle se heurte inexorablement à la difficulté d’application que les experts consultés relèvent à chaque reprise. En 2003, une initiative parlementaire demandant l’introduction de cet outil aura pourtant raison de ces doutes et obtiendra l’aval du Parlement puis du peuple. Des doutes qui cependant feront très vite leur réapparition. Comme l’avaient prédit les experts, la création de la loi d’application est semée d’embuches. Parmi celles-ci : la difficulté d’introduire un tel outil dans un système bicaméral, les questions qui se posent sur la compétence lors des recours et les possibilités d’opposer des contre-projets. L’introduction de ce système fondé sur une démarche générale et imprécise à tous points de vue mène à une procédure longue et complexe. Ce qui semblait être une ouverture et une possibilité complémentaire offerte au citoyen, transforme au final l’initiative générale en une procédure particulièrement longue et complexe, on parle de 7 ans avant qu’une solution finale ne soit adoptée. S’ajoute à cela le fait que, le texte ayant été rédigé en termes généraux, l’acte final puisse en définitive être assez éloigné de la volonté de base des initiants. Un processus qui tend à rendre cet outil complexe, inaccessible, et donc potentiellement peu utilisable.

Nous voilà donc revenus au point de départ : la disposition étant trop complexe, le parlement propose à la population de la supprimer. Un paradoxe puisque c’est lui-même qui avait offert la possibilité d’inscrire cet outil dans la constitution. Un échec ? Peut-être. Un manque de clairvoyance sur la faisabilité d’un projet ? Certainement. Mais il s’agit-là de la seule solution acceptable. Reste que le débat sur les limites de la démocratie directe est ouvert : faut-il introduire l’initiative législative ? Est-ce que cela accentuerait le risque de nous retrouver confrontés à des actes incompatibles avec l’ordre légal comme ce fut le cas pour l’internement à vie des délinquants dangereux? S’agit-il plutôt d’ouvrir et d’intensifier le contrôle en amont en instaurant des règles plus strictes quant au contenu des initiatives ? Voilà parmi d’autres les questions sur lesquelles le Parlement devrait se pencher. (texte paru dans Le POINT du mois de juin 2009)